Définition de l’alliance thérapeutique
L’alliance thérapeutique désigne la relation de collaboration et de confiance entre un professionnel de l’accompagnement et son patient (ou client).
Alliance renvoie à l’idée d’allié et de partenaire.
Autrement dit, une personne en qui on a confiance et sur qui on peut compter pour collaborer à une tâche donnée.
L’alliance implique confiance, adhésion et engagement réciproque dans le dispositif d’accompagnement.
Ma définition de l’alliance : « dynamique relationnelle facilitant le processus d’accompagnement ».
Les 3 composantes de l’alliance (Bordin)

Sur le plan théorique, une référence incontournable est la conceptualisation de l’alliance par Bordin.
Selon Bordin (1994), l’alliance comporte 3 dimensions :
- L’accord sur les objectifs (la finalité de l’accompagnement)
- L’accord sur les tâches à accomplir (les moyens thérapeutiques)
- Le lien affectif positif entre patient et thérapeute
Ainsi, une alliance de qualité suppose à la fois une bonne entente relationnelle et un contrat de collaboration clair sur ce qui est entrepris ensemble.
L’alliance est une co-construction
On ne fait pas un accompagnement à une personne, mais avec une personne.
Le patient n’est pas un objet passif du soin, mais un sujet actif de son propre changement.
Il est important de comprendre que l’alliance est une co-construction.
Elle naît de l’interaction entre deux personnes avec leurs influences réciproques.
Il s’agit d’un processus dynamique et émergent, propre à chaque dyade thérapeutique.
On ne peut pas prédéfinir exactement ce qui va créer une bonne alliance pour un individu donné, car « ce qui fait alliance avec une personne peut différer pour une autre ».
L’alliance émerge lorsque certaines conditions favorables sont réunies, un peu comme le sommeil émerge sans qu’on puisse le forcer.
En pratique, cela signifie que le professionnel doit faire preuve d’adaptabilité et de souplesse, afin de découvrir au fur et à mesure ce qui favorise l’alliance avec ce patient singulier.
L’alliance se découvre
Par ailleurs, la littérature indique que chaque patient peut avoir sa propre perception de l’alliance et de ce qui la constitue.

Par exemple, une étude qualitative de Bachelor (1995) a mis en évidence que certains patients perçoivent l’alliance surtout à travers
- un soutien chaleureux du thérapeute (46% des patients interrogés)
- d’autres via des prises de conscience et des insights amenés par le thérapeute (39%)
- et d’autres encore par un style vraiment collaboratif où ils se sentent partenaires du processus (15%).
De même, la façon dont l’empathie du thérapeute est ressentie peut varier.
Pour certains patients elle se manifeste par une compréhension cognitive de leur vécu, pour d’autres par une résonance émotionnelle affective, ou même par le partage de certaines expériences par le thérapeute (démarche de révélation de soi), ou simplement par une attitude soutenante et encourageante.
Ces différences signifient qu’il n’existe pas une seule manière universelle de créer de l’alliance.
Le thérapeute doit être attentif à ce que le patient valorise, et ajuster sa façon d’entrer en relation en conséquence.
En somme, l’alliance se construit par la rencontre avec le patient, en accordant une grande importance à son ressenti de la relation.
L’alliance n’est pas la complaisance
Une forme d’alliance uniquement basée sur la complaisance empêche toute possibilité d’inviter l’autre à se questionner.
Faire alliance ne signifie pas “dire oui à tout” ; c’est aussi tenir un cadre clair et sécurisé.

Le thérapeute reste le garant du dispositif : horaires, règles de fonctionnement, engagement et responsabilité de chacun.
Son expertise et son engagement « au service de l’autre sans posture de sauveur » l’obligent parfois à être ferme.
Par exemple en refusant une dérive hors sujet ou en replaçant l’attention sur les objectifs initiaux du suivi. Poser des limites respectueuses ne rompt pas forcément l’alliance.
Cela peut la renforcer, car le patient constate que le professionnel sait protéger l’espace thérapeutique et peut donner confiance dans l’efficacité du dispositif.
Une alliance solide est donc compatible avec l’assertivité, pour peu que celle-ci s’exerce dans un climat de considération empathique.
De même, la confrontation peut être un acte allianciel lorsqu’elle est menée avec tact et bienveillance.
Il s’agit de proposer au patient une “tension constructive” : oser se confronter à l’inconfort constructif permettant la rencontre des émotions et d’un questionnement sur soi, sans dépasser sa fenêtre de tolérance émotionnelle – espace où il reste engagé sans être submergé.
La différence entre confrontation aidante et confrontation délétère tient au ton et à l’intention : il ne s’agit pas de critiquer ou de disqualifier (ce qui nuirait gravement à l’alliance), mais de mettre en lumière, avec respect, un évitement ou une incohérence, d’inviter le patient à en explorer le sens, et de soutenir son autonomie pour trouver des alternatives.
Cette manière de “tenir tête avec empathie” rappelle au patient qu’il est acteur de sa thérapie, tout en démontrant que le thérapeute est suffisamment solide et fiable pour affronter les zones d’ombre sans complaisance ni jugement.
L’importance de l’alliance
(études scientifiques)

En thérapie
L’alliance est considérée comme l’un des facteurs communs les plus déterminants de l’efficacité thérapeutique, surpassant souvent l’effet des techniques spécifiques utilisées.
L’alliance thérapeutique fait l’objet de nombreuses recherches depuis des décennies, et celles-ci convergent pour démontrer son rôle crucial dans la réussite des psychothérapies et autres accompagnements.
La méta-analyse de Flückiger, Del Re, Wampold et Horvath (2018) portant sur 295 études trouve une corrélation moyenne d’environ r = 0,28 entre la qualité de l’alliance et les résultats thérapeutiques.
D’autres travaux antérieurs (Horvath & Bedi, 2002 ; Martin et al., 2000 ; Horvath & Symonds, 1991, etc.) rapportent également des corrélations significatives dans un ordre de grandeur similaire (autour de r = 0,21–0,28).
Bien que ces corrélations soient modérées, elles sont stables et reviennent régulièrement, ce qui indique que l’alliance est un prédicteur fiable de l’issue de la thérapie.
En clair, plus la personne accompagnée perçoit la relation comme sûre, collaborative et engageante, plus elle a de chances d’en retirer des bénéfices.
Education et santé
Il ne s’agit pas que de psychothérapie au sens strict : l’importance de l’alliance s’observe aussi dans d’autres domaines du soin ou de la relation d’aide.
Par exemple, en médecine, une bonne alliance médecin-patient est associée à une meilleure observance des traitements médicaux.
Thomson et McCabe (2012) ont montré que lorsque le patient se sent véritablement allié avec son médecin, il suit davantage les prescriptions et conseils de ce dernier, améliorant ainsi l’efficacité du soin.
De même, dans le domaine éducatif, la qualité de la relation enseignant-élève est corrélée avec le bien-être de l’enfant et son adaptation à l’école (Buyse et al., 2009).
Ces exemples soulignent que l’alliance relationnelle est un facteur transversal de succès dans toute démarche d’accompagnement humain.
Pourquoi l’alliance est-elle si influente ?
D’une part, une bonne alliance favorise un engagement actif du patient dans le processus : il sera plus ouvert, plus engagé, plus enclin à fournir des efforts et à persévérer, parce qu’il se sent en confiance et respecté.
D’autre part, l’alliance crée un cadre sécurisant où le patient ose aborder ses difficultés.
Elle permet également une meilleure collaboration : le thérapeute et le patient travaillent en équipe, alignés vers les mêmes objectifs, ce qui évite les résistances inutiles et les malentendus.
Enfin, l’alliance ouvre la porte à la franchise et au feedback mutuel : quand la relation est solide, patient comme thérapeute peuvent signaler plus aisément ce qui fonctionne ou non, et ajuster le travail en conséquence. À l’inverse, une alliance faible ou rompue risque de compromettre le processus – le patient pourrait retenir des informations, ne pas suivre les indications, ou même abandonner prématurément la thérapie.
Autrement dit, l’alliance n’est pas un bonus, c’est le terreau sur lequel le travail d’accompagnement peut se développer.
Les indicateurs de l’alliance
Comment savoir si l’alliance thérapeutique est bonne ?

Certains comportements observables du patient peuvent témoigner d’une alliance solide.
Par exemple, un patient impliqué, qui s’exprime librement, pose des questions, revient volontairement aux séances, et applique les conseils ou exercices proposés, manifeste généralement une alliance positive.
De même, un climat d’échange ouvert et collaboratif, où le patient ose aborder ses préoccupations y compris vis-à-vis du processus en lui-même, est souvent bon signe.
Inversement, un patient très silencieux, défensif ou qui manque fréquemment les rendez-vous pourrait signaler une alliance fragile.
Décalage de perception
La recherche montre que les professionnels et les patients n’ont pas toujours la même perception du niveau d’alliance présent dans la relation.
Tryon, Collins et Felleman (2006) soulignaient déjà ce décalage : un thérapeute peut penser que “tout va bien” alors que le patient, lui, se sent mal à l’aise ou incompris – et vice versa.
De plus, les thérapeutes ont souvent tendance à surestimer la qualité de l’alliance ou à croire qu’ils la jugent correctement, alors que leur évaluation n’est pas forcément en phase avec celle du patient.
Dans une étude, Hannan et al. (2005) ont montré que les cliniciens n’avaient pas conscience de la détérioration de l’alliance ou du risque d’échec thérapeutique dans un grand nombre de cas où cela se produisait effectivement.
En revanche, c’est l’évaluation de l’alliance par le patient lui-même qui se révèle le meilleur prédicteur de la réussite de la thérapie.
Autrement dit, le ressenti du client est roi en la matière : si le patient a le sentiment d’une bonne alliance, c’est bon signe pour la suite, bien plus que le ressenti du thérapeute (Horvath & Bedi, 2002 ; Horvath & Luborsky, 1993).
Savoir rechercher du feedback relationnel
Le point de vue d’une seule personne sur la relation ne dit pas grand-chose de la manière dont l’autre vit la relation.
Cette constatation invite à l’humilité du côté du professionnel.
Il faut donc créer des occasions de confronter les points de vue et de demander directement au patient comment il se sent dans la relation.
En pratique, le meilleur indicateur de l’alliance sera le feedback régulier du patient.
Il est très bénéfique que le professionnel sollicite activement l’avis du patient sur la qualité de leur relation de travail : par exemple en lui posant périodiquement des questions ciblées sur son ressenti.
Ce feedback sur la relation peut être recherché quand tout semble bien se passer (afin de s’en assurer et de renforcer ce qui fonctionne) aussi bien qu’au moindre signal de tension ou d’accroc, même mineur.
L’objectif est de faire circuler l’information pour permettre un accordage relationnel en continu : faire plus de ce qui convient au patient, et moins de ce qui ne lui convient pas.
Le thérapeute gagne à normaliser ces demandes de feedback en expliquant par exemple : « N’hésitez pas à me dire si quelque chose vous met mal à l’aise dans nos échanges, votre avis m’importe pour que nous avancions au mieux ensemble. »
Solliciter ce genre de retour explicitement ouvre la porte à une communication honnête et évite de laisser s’installer des malentendus.
« Je veux m’assurer que vous vous sentiez en confiance pour exprimer vos craintes…
Est-ce le cas pour vous dans nos séances ? »
Le professionnel développe une véritable compétence à recevoir (et donner) du feedback.
Recevoir du feedback sans se braquer demande de l’ouverture, et savoir en donner (par exemple refléter au patient son engagement ou nommer un possible malentendu) est tout aussi important pour ajuster la relation.
Des outils structurés existent, comme des questionnaires d’alliance remplis par le patient en fin de séance, mais une simple conversation ouverte peut suffire.
L’essentiel est de prendre au sérieux le vécu subjectif du patient et d’en faire un baromètre principal de l’alliance.
Enfin, notons qu’un patient peut très bien dire par politesse « Oui, je me sens en confiance avec vous » – il est donc utile de rester attentif aux signaux non-verbaux ou indirects qui pourraient indiquer le contraire.
Des changements dans le regard, le ton, le niveau d’engagement, même fugaces, méritent d’être remarqués.
En cas de doute, mieux vaut vérifier en posant la question que de supposer. En somme : « Qui ne demande rien n’entend rien ».
Solliciter l’avis du patient sur la relation est sans doute le meilleur thermomètre de l’alliance.
Les facteurs facilitateurs de l’alliance
Qu’est-ce qui favorise l’établissement d’une bonne alliance thérapeutique ?
De nombreuses variables peuvent entrer en jeu.
Certaines tiennent aux qualités du thérapeute, d’autres aux caractéristiques du patient, d’autres enfin à l’adéquation ou la “rencontre” entre les deux parties.

Bien sûr, chaque relation étant unique, il n’existe pas de recette magique applicable à tous.
Néanmoins, on peut dégager plusieurs facteurs facilitateurs généraux, issus tant de l’expérience clinique que des recherches.
Voici les principaux éléments reconnus pour soutenir l’émergence d’une alliance solide.
Un climat de sécurité et de confiance
(l’assise de l’alliance)
La sécurité psychologique est un préalable crucial.
Le patient doit se sentir émotionnellement en sécurité, c’est-à-dire certain que dans cet espace thérapeutique il ne sera ni jugé, ni rejeté, ni humilié, même s’il aborde des sujets sensibles ou exprime des émotions intenses.
Pour instaurer ce climat, le thérapeute adopte une attitude bienveillante, empathique et respectueuse de la personne, de son vécu, de ses besoins et de ses valeurs.
Carl Rogers parlait de « considération positive inconditionnelle » et d’empathie authentique comme base de la relation d’aide.
L’idée est que le patient sente que sa personne importe davantage que son problème.
Cette sécurité est aussi renforcée par la congruence du thérapeute, c’est-à-dire son authenticité et sa transparence modérée : le patient perçoit un professionnel sincère, qui ne joue pas un rôle factice.
La théorie de l’attachement nous apprend également qu’une relation sécurisante permet l’exploration.
Le thérapeute peut être, dans une certaine mesure, assimilé à une figure d’attachement sécure pour le patient, offrant une « base de sécurité » à partir de laquelle ce dernier pourra explorer son monde intérieur (pensées, émotions, besoins…) mais aussi le monde extérieur (s’ouvrir à de nouvelles situations).
John Bowlby résumait ce besoin fondamental avec la métaphore de l’arbre (la sécurité, l’enracinement) qui permet de construire la pirogue (l’exploration, le voyage) – l’individu a besoin des deux pour grandir.
Concrètement, favoriser l’alliance implique donc de prendre le temps de construire un lien : manifester au patient de la chaleur humaine, de l’écoute et une acceptation sans condition (absence de jugement) de ce qu’il apporte.
Ces éléments relationnels créent un terreau de confiance sur lequel tout le reste va s’appuyer.

L’empathie
L’empathie du professionnel est souvent citée comme le cœur de l’alliance.
Rogers (1957) la définissait comme « la volonté et la capacité d’être sensible à l’autre, pour comprendre ses pensées, ses sentiments et ses difficultés de son point de vue ».
Être empathique, c’est faire l’effort de se mettre mentalement à la place du patient pour saisir son expérience vécue de l’intérieur.
Une méta-analyse de 47 études par Bohart et ses collègues (2002) a confirmé que l’empathie du thérapeute est positivement liée à l’efficacité de la thérapie.
Cependant, l’empathie n’est pas qu’une attitude générale “décorative” – elle doit se sentir du côté du patient.
Il y a une dimension non-verbale importante : par exemple, le ton de la voix et la qualité d’écoute transparaissent même au téléphone et véhiculent chaleur ou distance.
Faire preuve d’empathie implique aussi de comprendre sans nécessairement approuver : on distingue parfois l’empathie de la simple sympathie ou de la complaisance.
Le thérapeute empathique peut refléter au patient ce qu’il perçoit de son vécu, montrer qu’il tente sincèrement de le comprendre, tout en gardant la neutralité bienveillante nécessaire (il ne s’agit pas d’aller dans le sens du patient sur tout ou de perdre son objectivité).
Enfin, l’empathie comprend une part de représentation interne (se représenter en soi ce que vit l’autre) mais aussi une part d’expression : savoir exprimer son empathie de façon adéquate est essentiel pour que le patient en bénéficie.
Cela peut prendre la forme de reformulations, de validations du ressenti du patient, de silences accueillants au bon moment, etc.
En somme, une empathie active et visible renforce l’alliance en montrant au patient qu’il est entendu et compris.
La présence et l’attention du professionnel
Au-delà de l’empathie, c’est toute une qualité de présence du thérapeute qui facilite l’alliance.
Être véritablement présent signifie être concentré sur l’ici-et-maintenant de l’échange, pleinement attentif à l’autre, sans distraction ni préoccupation parasite.
Des recherches ont montré que la présence du thérapeute peut être cultivée : par exemple, une étude de Dunn et al. (2013) a révélé que des psychothérapeutes qui pratiquaient une courte méditation de pleine conscience de 5 minutes juste avant leurs séances se sentaient plus présents, et leurs patients évaluaient les séances comme étant plus efficaces.
Ceci suggère qu’un thérapeute centré et disponible mentalement offre un meilleur terrain pour l’alliance.
La disponibilité et la fiabilité perçues du thérapeute contribuent à la confiance.
La qualité de présence inclut aussi la capacité du professionnel à composer avec ses propres émotions pour rester émotionnellement disponible au vécu du patient.
La collaboration et l’implication active du patient

Une alliance n’est forte que si les deux parties y contribuent.
Le thérapeute doit encourager le patient à être un acteur de son suivi, en valorisant sa participation et ses choix.
De nombreuses études soulignent le pouvoir de la posture collaborative du thérapeute.
D’ailleurs, Norcross (2010) indique que la collaboration perçue est fortement corrélée avec la qualité de l’alliance selon les patients.
Concrètement, comment instaurer cette collaboration ?
D’abord, par le langage : employer des formulations incluant le patient dans le processus (« on », « nous ») plutôt que des injonctions unilatérales. Par exemple, dire « Nous allons travailler ensemble pour vous permettre de surmonter cette difficulté ».
Le thérapeute peut utiliser des métaphores collaboratives, « je suis votre co-pilote dans ce parcours » – pour signifier qu’il avance avec le patient, côte à côte.
La collaboration concrète dans l’interaction
Au-delà des mots, la collaboration doit se vivre dans la manière de conduire l’accompagnement.
Cela signifie par exemple de co-construire avec le patient certaines étapes du processus : discuter ensemble des objectifs thérapeutiques, décider en concertation des exercices ou tâches à réaliser en dehors des séances, etc.
Impliquer activement le patient à ces moments clés augmente son adhésion et son investissement, puisque le cadre devient sur-mesure pour lui.
De même, il convient de laisser au patient un espace de choix et de décision chaque fois que c’est possible (p.ex. choisir entre deux approches possibles, valider s’il se sent prêt à aborder tel sujet…).
Cela nourrit son sentiment d’autonomie et donc l’alliance.
Le thérapeute évitera de « faire à la place » du patient ou de surcontrôler le processus.
S’il constate que le patient n’investit pas un aspect de la thérapie (par exemple ne pas faire les exercices prévus), il gagnera à explorer avec bienveillance le pourquoi plutôt que de forcer ou de blâmer.
Enfin, travailler en collaboration implique de clarifier les rôles : le patient est expert de sa vie, le thérapeute est expert dans les processus d’accompagnement, et il s’agit de croiser ces deux expertises.
Cette transparence sur les contributions de chacun évite le piège d’une relation trop directive ou, à l’inverse, d’un patient livré à lui-même.
Le soutien de l’autonomie, de la compétence et du lien
- Le besoin d’autonomie
- Le besoin de se sentir compétent et efficace
- Le besoin de lien social.
Une bonne alliance thérapeutique tend justement à nourrir ces trois besoins.
- L’autonomie est respectée en impliquant le patient dans les décisions (comme vu ci-dessus) et en évitant les positions de contrôle ou de “sauveur”.
- Le sentiment de compétence du patient est soutenu en reconnaissant ses progrès, ses efforts, et en lui donnant des tâches à sa mesure qui lui permettent de réussir graduellement – plutôt que de le confronter d’emblée à des défis impossibles.
- Le besoin de lien, bien entendu, est comblé par la relation empathique et chaleureuse qui se tisse.
Lorsque ces besoins sont nourris, la motivation du patient devient plus auto-déterminée, c’est-à-dire qu’il s’implique parce qu’il le veut et y trouve du sens, et non par simple obéissance extérieure.
Cet état d’esprit améliore à la fois l’alliance et l’efficacité de l’accompagnement.
À l’inverse, des attitudes du thérapeute qui menacent l’autonomie (p.ex. être trop directif), qui sapent la compétence (p.ex. critiques rabaissantes) ou qui refroidissent le lien (p.ex. distance froide ou jugements) vont fortement nuire à l’alliance.
L’équilibre entre confort et inconfort
Un aspect parfois moins souligné de l’alliance est la capacité du thérapeute à gérer l’équilibre entre mettre le patient à l’aise et le challenger au service de son progrès.
Une alliance trop confortable où rien de difficile n’est jamais abordé pourrait stagner, tandis qu’une alliance où le patient est constamment poussé hors de sa zone de tolérance émotionnelle risque de se rompre.
Il s’agit donc de trouver le juste milieu.
La notion de « fenêtre de tolérance » (Siegel, 1999) est utile : il faut éviter que le patient ne soit ni en hyper-activation émotionnelle (trop stressé, submergé) ni en hypo-activation (déconnecté, apathique).

Le thérapeute doit surveiller l’état émotionnel du patient et ajuster son intervention en conséquence : ralentir et apporter du soutien si ça devient trop intense, ou au contraire stimuler l’exploration si le patient évite systématiquement les sujets importants.
Maintenir le patient juste assez en défi tout en préservant le lien de confiance est un art clinique qui se raffine avec l’expérience.
Cela implique beaucoup d’écoute et d’observation des réactions subtiles : un changement de ton, un regard fuyant, peuvent indiquer qu’il faut temporiser.
Le meilleur moyen d’avancer est parfois de s’arrêter.
Prendre le temps de consolider la sécurité relationnelle plutôt que de forcer un passage délicat est un investissement nécessaire.
Si le patient sent que le thérapeute respecte son rythme et ses limites, l’alliance en sortira renforcée.
À l’inverse, ignorer les signaux d’inconfort et foncer coûte que coûte pourrait briser la confiance.

La gestion de la motivation et de la demande
L’alliance est plus facile à construire quand le patient a formulé une demande claire et une motivation forte pour l’accompagnement.
Si quelqu’un vient vraiment de lui-même chercher de l’aide, il sera a priori disposé à entrer en alliance.
Cependant, il arrive que la demande ne soit pas claire, ou que la motivation initiale soit extrinsèque (p.ex. venir parce que son médecin l’a conseillé, sans être très convaincu).
Le thérapeute a alors pour tâche d’aider la personne à élaborer sa demande.
Si aucune demande n’est formulée, la priorité est de créer un contexte relationnel facilitant pour faire émerger une demande travaillable.
Les attitudes qui dégradent la relation
Enfin, il convient de mentionner en négatif certains écueils connus qui sabotent l’alliance.

Par exemple, adopter d’emblée une posture de confrontation directe ou d’autorité frontale est généralement délétère (sauf cas très particuliers).
Les études de Norcross & Lambert (2018) rappellent que l’hostilité, la critique, les jugements dévalorisants ou les attitudes trop autoritaires du thérapeute mènent à l’échec quasi assuré.
Si le thérapeute ressent de l’irritation ou de l’impatience, il doit travailler à le formuler de manière constructive plutôt que de “passer à l’acte” dans la relation.
Par exemple, au lieu de dire « Vous n’écoutez jamais rien » (jugement critique généralisant et attaquant), mieux vaudra exprimer « J’ai l’impression de ne pas réussir à vous aider comme je le voudrais, et je me demande comment m’y prendre différemment »
Ce qui ouvre le dialogue sans attaquer la personne.
De même, avoir des a priori rigides sur le patient ou la relation peut poser problème : si un thérapeute pense “savoir” d’avance comment la relation doit être, il risque de ne pas entendre le vécu réel du patient.
Mieux vaut aborder chaque alliance sans présupposés, et vérifier auprès du patient plutôt que de projeter ses propres hypothèses.
Une autre attitude néfaste est la rigidité dans la méthode : vouloir à tout prix appliquer sa technique sans s’adapter au feedback du patient.
La flexibilité est au contraire de mise : si quelque chose ne marche pas, il faut pouvoir essayer autre chose.
En somme, tout ce qui communique de la distance, de la froideur, de la suffisance ou de la raideur risque d’éroder l’alliance.
Une revue de Orlinsky et al. (2005) sur les effets néfastes en thérapie notait que bon nombre de cas d’échecs ou de vécus négatifs étaient liés à des thérapeutes perçus comme distants, rigides, ou ayant des transgressions (séduction, etc.) et un manque d’adéquation au patient.
En résumé, les facilitateurs de l’alliance résident surtout dans la posture relationnelle du thérapeute (empathie, chaleur, respect, souplesse, authenticité), dans sa capacité à engager le patient comme partenaire, et dans l’attention constante portée à la sécurité émotionnelle de la personne.
C’est en remplissant ces conditions qu’on crée les meilleures chances de voir éclore une alliance solide, qui portera le travail thérapeutique.
Nuances
L’alliance comme révélateur des ressources du patient
Bien que l’alliance thérapeutique soit reconnue comme un prédicteur robuste de l’efficacité des psychothérapies, certaines limites subsistent quant à son interprétation.
L’un des débats centraux porte sur la question de savoir si une alliance forte reflète avant tout les ressources relationnelles préexistantes du patient – telles que son style d’attachement sécurisant, sa capacité à faire confiance et à coopérer – ou si elle est principalement le fruit d’un processus thérapeutique efficace en soi.
En d’autres termes, est-ce que le patient développe une bonne alliance parce qu’il est déjà capable de relations stables et confiantes (hypothèse dispositionnelle), ou est-ce que la relation thérapeutique vient activer ces capacités, voire les restaurer (hypothèse interactionnelle) ?
Plusieurs études montrent que le style d’attachement influence significativement la qualité de l’alliance : les patients ayant un attachement sécure rapportent en moyenne des alliances plus fortes, alors que ceux au style évitant ou anxieux peuvent éprouver des difficultés à nouer une relation de confiance durable avec leur thérapeute.
Cela suggère que l’alliance peut parfois être un indicateur indirect des compétences relationnelles du patient, ce qui soulève des enjeux d’interprétation dans la mesure de l’alliance comme facteur thérapeutique.
Cependant, réduire l’alliance à un simple reflet des dispositions du patient négligerait l’impact du processus thérapeutique lui-même.
De nombreuses données longitudinales indiquent que l’alliance évolue au cours de la thérapie et que cette évolution est elle-même corrélée à l’amélioration clinique.
Cela suggère que l’alliance ne se limite pas à une donnée initiale mais constitue un processus dynamique, coconstruit entre patient et thérapeute.
Ainsi, un patient initialement méfiant ou peu à l’aise dans la relation peut, grâce à l’attitude empathique, constante et sécurisante du thérapeute, développer une alliance solide au fil des séances.
Ce changement relationnel est parfois en lui-même un objectif thérapeutique, notamment dans les prises en charge de troubles de la personnalité ou d’histoires traumatiques.
L’alliance devient alors un média de transformation et non une simple mesure prédictive.
En somme, si l’alliance peut effectivement refléter certaines ressources du patient, elle est aussi le produit vivant de l’interaction thérapeutique – une qualité émergente qui peut être cultivée, réparée et renforcée au fil du temps.

Joran Farnier
Psychologue, enseignant, formateur
Passionné par la psychologie, j’ai fondé l’Institut de Psychologie Positive Appliquée pour faire le pont entre les recherches et la pratique de terrain.
Nous formons les professionnels de l'accompagnement pour leur permettre d'exercer avec plus de clarté, d'efficacité et de confort dans un métier complexe.
Merci infiniment pour ce travail autour de l’alliance thérapeutique. Il est très pertinent. Excessivement fourni. Il donne à réfléchir. Et même si l’expérience professionnelle est là, je me suis nourrie de votre approche. A lire et relire régulièrement.
Merci à vous.
Merci beaucoup pour votre commentaire 🙂
merci beaucoup pour cet article très riche et sourcé, ce sera une ressource utile pour les cours que je donne à L’université sur l’alliance thérapeutique en orthophonie. NB Une coquille s’est glissée dans l’image de l’arbre, « sécurité émotionnelle, le patient se sent rejeté… » je pense que c’est plutôt « ne se sent pas rejeté »?
Merci beaucoup pour votre retour.
PS : bourde corrigée 🙂