Intelligence émotionnelle : identifier ses émotions et celles d’autrui

Ne pas savoir identifier ses émotions impact négativement la santé mentale, la santé physique et les relations sociales selon les études scientifiques

Moïra Mikolajczak et al., 2020

Cet article fait suite à l’article sur l’intelligence émotionnelle avec la présentation des 10 compétences émotionnelles clefs.

Identifier ses émotions

LEÇON #1 : Identifier ses émotions permet déjà de commencer à les apaiser (régulation émotionnelle).

Une étude de l’Université de Californie indique que nommer l’émotion contribue déjà à diminuer l’activation physiologique associée (Liberman et al., 2007).

Dans cette étude, un IRM fonctionnel mesurait en direct l’activité cérébrale des participants.

Les participants qui ont mis un mot sur l’émotion ont eu une diminution d’activation des zones cérébrales liées aux émotions (amygdale et système limbique).

A la place, une seule zone du cerveau s’est particulièrement activée : le cortex préfrontal ventrolatéral droit.

Les auteurs l’envisagent comme étant impliqué dans le traitement complexe des émotions et dans les processus d’inhibition.

Les 2 conditions pour identifier ses émotions

Deux conditions sont importantes pour faciliter l’identification émotionnelle :

  • L’ouverture à ses émotions : sans cette ouverture à notre vie émotionnelle, le mouvement dominant risque de ressembler à des tentatives de suppression des émotions.

    S’ouvrir à ses émotions ne signifie pas les amplifier, simplement accepter leur présence et traiter le message qu’elle nous apporte.
  • Avoir un vocabulaire émotionnel riche : plus le lexique émotionnel est riche, plus la personne est capable de différencier les émotions ressenties afin de prendre en compte le message et les besoins spécifiques.

    Imaginons que mon langage émotionnel ne comporte que deux options : ÇA VA ou ÇA NE VA PAS. Cela m’aiderait uniquement à repérer la présence d’un problème, sans m’offrir plus d’indications pour le situer précisément dans la réalité et travailler à le résoudre.
CONSEIL PRATIQUE

Pour accompagner nos patients ou clients à développer leur compétence émotionnelle, nous pouvons agir sur ces 2 leviers :
  • Ouverture aux émotions : créer un contexte de sécurité psychologique et dès qu’une émotion les traverse : leur signaler que c’est OK de la vivre, qu’il y a tout l’espace ici pour l’accueillir.
  • Lexique émotionnel : en leur demandant de nommer ce qu’ils ressentent cela les fait travailler sur la capacité d’identification émotionnelle.

    S’ils n’y arrivent pas, il est possible de leur faire des propositions pour leur prêter notre capacité à nommer les émotions. Il est aussi possible de leur partager un lexique des émotions.

Nommer notre état intérieur permet de le communiquer plus facilement et précisément à l’autre pour qu’il se représente mieux ce que nous vivons.

On distingue 3 dimensions dans l’identification émotionnelle :

  • La conscience émotionnelle : s’ouvrir à nos émotions et repérer les mouvements émotionnels qui peuvent nous traverser.
  • L’étiquetage émotionnel : consiste à nommer l’émotion, en complétant par exemple la phrase « Je me sens… » avec l’étiquette émotionnelle adaptée.
  • La discrimination émotionnelle : consiste à savoir faire la différence entre nos émotions pour utiliser l’étiquette la plus précise possible.
CONSEIL PRATIQUE : Afin d’identifier plus clairement ses émotions, s’exercer quotidiennement à les nommer est une excellente pratique.

Il est aussi possible de s’arrêter 3 fois par jour pendant quelques minutes pour observer comment nous nous sentons dans notre corps et tenter de nommer ces états intérieurs.

Comment identifier une émotion ?

3 étapes pour identifier nos émotions plus facilement :

  • Sa valence : Se demander si l’émotion est agréable ou désagréable
  • Son énergie : Se demander si elle est associée à un haut niveau d’énergie ou à un faible niveau
  • Sa cause : Se demander ce qui a déclenché l’émotion (si c’est lié à la perte ou à la menace d’un besoin affectif, cela est probablement de la tristesse ; si c’est lié à un danger, c’est certainement de la peur ; si c’est lié à des valeurs totalement opposées aux nôtres, cela peut être du dégoût ou de la colère…)

Ce graphique vous aidera à réaliser les 2 premières étapes :

La roue des émotions
CONSEIL PRATIQUE : Pour développer les compétences émotionnelles des personnes accompagnées, nous pouvons ralentir et poser ces questions dès que nous percevons un signal émotionnel :

  • J’ai cru observer une expression sur votre visage, avez-vous ressenti quelque chose de particulier à ce moment-là ?
    (conscience émotionnelle)
  • Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?
    (identification émotionnelle)
  • Si cette émotion pouvait parler, qu’est-ce qu’elle nous dirait ? (… de ce qui est précieux pour vous ? de votre perception personnelle de la situation ? du contexte dans lequel vous êtes ?)
    (compréhension émotionnelle)

On peut également identifier une émotion à partir de ses composantes, comme un détective le ferait à partir d’indices :

  • Les pensées : la forme des pensées nous renseigne sur l’émotion associée.

    Si j’ai tendance à imaginer le pire (ET SI… il se passe X évènement redouté) cela a des chances d’être la peur.

    Si j’ai des pensées de reproches (« il a fait exprès de me faire ça ») cela ressemble plus à la colère.
  • Les tendances à l’action : si j’ai tendance à éviter la situation ou à la repousser, cela peut faire penser à la peur.

    Alors que si j’ai tendance à être agressif et à vouloir « piquer » l’autre, cela ressemble à de la colère.
  • Les changements physiologiques : l’activation physiologique de la peur et de la colère génèrent toutes deux de l’énergie dans le corps, mais pas de la même manière.

    Apprendre à être à l’écoute de notre corps permet de mieux cartographier nos états émotionnels pour mieux les nommer.

Les émotions positives

Je vous partage une pratique amusante que je propose lors des formations en intelligence émotionnelle :

  • Vous avez 15 secondes pour lister le plus d’émotions désagréables.
  • Puis, toujours en 15 secondes, lister le plus d’émotions agréables.

Qu’ils soient étudiants ou professionnels confirmés, les résultats sont souvent les mêmes 🙂 .

Le lexique des émotions désagréables est bien plus développé que celui des émotions agréables.

Si le professionnel n’a pas un vocabulaire riche des émotions agréables, il passe plus facilement à côté des émotions agréables de ses patients.

Ce qui limite leur éclairage, leur expérience et l’exploration de ce qu’elles peuvent apporter comme informations précieuses.

LEÇON #2 : La granularité émotionnelle, c’est la capacité de se représenter ses émotions de manière fine, précise et spécifique.

Michele Tugade, Barbara Fredrickson et Lisa Feldman Barrett concluent dans une étude de 2004 que cette capacité est associée à des stratégies de régulation émotionnelles plus adaptatives.

Les personnes avec une plus forte granularité émotionnelle prennent plus le temps d’être attentives à la situation et de scanner les options possibles avant de réagir.

En psychologie positive, nous accordons une véritable importance à l’exploration des émotions agréables en séance.

Ces émotions nous aident à :

  • Faciliter la flexibilité psychologique : les émotions agréables apportent de l’énergie et génèrent des comportements plus variés et ouverts vis-à-vis de soi, des autres et du contexte.

    Les émotions désagréables sont plus stéréotypées : elles renferment notre champ attentionnel (focus sur le problème) et privilégient une direction comportementale (l’évitement dans la peur, l’agressivité dans la colère, se tenir à distance dans le dégoût…).
  • Extraire des informations sur les valeurs et besoins : une émotion agréable indique que quelque chose de précieux (besoin, valeurs, attentes…) a été satisfait dans la réalité.

    Cela permet à la personne de repérer ce qu’elle valorise et ce qui est précieux à ses yeux.

    (Qu’est-ce que cette émotion dit de ce qui est important pour vous ?)
  • Extraire des informations sur les ressources, capacités et force de la personne et de son entourage : Nous faisons le pari que la personne ou son entourage a pu avoir une contribution à cette satisfaction et c’est une opportunité d’explorer les ressources personnelles et sociales.

    (Qu’est-ce qui a permis de mener à bien cette situation ?)

Identifier les émotions des autres

LEÇON #3 Nos émotions ont une fonction fondamentale de signalisation sociale.

L’être humain est très expressif pour qui sait décrypter les signaux émotionnels.

  • Si nous sommes tristes, cela renvoie un signal aux autres qui facilite des réponses empathiques et de soutien.
  • Si nous sommes en colère, cela vient décourager l’autre de reproduire un comportement qui ne nous a pas convenu (comme un manque de respect).
  • Si nous sommes joyeux et ressentons de la gratitude, cela indique à l’autre que son comportement nous fait du bien, l’invite à le reproduire et facilite un rapprochement dans la relation.

Liste des émotions

Paul Ekman a identifié 6 émotions primaires :

  • La tristesse
  • La joie
  • La surprise
  • La peur
  • La colère
  • Le dégoût

Il s’aperçoit que ces émotions présentent les mêmes expressions faciales dans différentes cultures.

Il en conclut qu’elles sont universelles et primaires, car elles ne semblent pas influencées par la culture.

C’est une base intéressante, mais comme on l’a vu précédemment, ce qui compte, c’est d’avoir un vocabulaire émotionnel riche.

Si notre objectif est de développer les compétences émotionnelles, on va privilégier une liste des émotions plus fournies, présentant le plus de nuances possibles.

Liste des émotions

L’intelligence socio-émotionnelle

L’identification émotionnelle permet de développer son intelligence émotionnelle sociale, notamment en devenant meilleur pour :

  • Evaluer l’état de la relation ainsi que les besoins et attentes de la personne.
  • S’ajuster à l’autre : en lui exprimant de la considération pour ses besoins et sa manière de vivre les choses. Cela contribue à lui faire une place plus confortable dans la relation.

Identifier les émotions et les besoins de l’autre n’implique pas que nous devions nécessairement les satisfaire.

Mais au moins, nous avons l’information pour choisir de le faire, d’en parler ou d’apporter de la considération pour les besoins sans nécessairement avoir à les satisfaire.

Apprendre à repérer ce qui ne se dit pas

On ne peut pas ne pas communiquer

Paul Watzlawick

On a 2 canaux de communication :

  • La communication digitale (les mots pour s’exprimer) apporte des précisions sur le contenu et les idées.
  • La communication analogique (non-verbal, paraverbal) renseigne davantage sur le cadre relationnel, la manière implicite de définir la relation.

Selon les règles familiales, sociales et culturelles, la personne sera tentée de masquer ou d’influencer l’expression d’une émotion.

La thérapie ou les ateliers de compétences émotionnelles représentent une opportunité de réaménager ces règles, parfois limitantes.

Le but est de construire une relation dans laquelle de nouvelles normes et possibilités peuvent émerger quant à la manière de vivre ses émotions et de les exprimer.

Expression volontaire et expression automatique

Une émotion affichée volontairement n’active pas les mêmes muscles qu’une émotion réellement ressentie.

Il est donc possible d’apprendre à différencier les deux.

C’est notamment le cas du sourire, lorsqu’il est poli ou simulé, il génère une expression faciale différente d’un sourire authentique.

C’est pourquoi les bons acteurs utilisent des techniques pour réactiver une émotion réelle dans le présent (en repensant à un souvenir émotionnel par exemple).

Petite pratique amusante

Souriez poliment dans un premier temps.

Puis, repensez à quelque chose qui vous a beaucoup amusé.

Vous verrez que les muscles du front ne s’activent véritablement que lorsque le sourire est authentique !

CONSEIL PRATIQUE : Il est encore plus essentiel de détecter les émotions que les personnes accompagnées ont tendance à masquer lors des séances.

C’est souvent notre matériau de travail principal : explorer les défenses trop rigides et coûteuses.

Par exemple, un patient qui ne fait jamais l’expérience de la tristesse en séance nous amène à nous demander quelle relation il entretient avec cette émotion et quelles règles apprises gouvernent l’expression de cette émotion.

Accéder aux émotions d’autrui

Dans les relations, nous n’avons jamais accès à l’émotion intérieure de la personne.

Nous ne pouvons que faire des interprétations à partir des signaux visibles.

Il est important de laisser l’autre valider notre observation sans nécessairement la tenir pour vérité.

« J’ai cru sentir de l’appréhension dans ta réaction, il y a-t-il quelque chose qui t’inquiète ? »

Il arrive aussi que notre interprétation soit juste, mais que l’autre refuse d’admettre ressentir l’émotion identifiée.

Typiquement, dans le cas de la colère, on observe souvent le scénario suivant :

Lorsqu’on indique à une personne qu’elle peut être en colère, elle peut nous répondre sur un ton agressif qu’elle n’est pas en colère.

C’est une défense classique qui vise à ne pas reconnaître l’émotion qu’elle ressent.

Il est alors possible de persister avec douceur en lui indiquant que cette émotion est OK.

Ou encore en abordant à nouveau le sujet plus tard, lorsque la tension sera retombée et que le climat sera plus propice à un échange constructif.

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Bibliographie

Mikolajczak, M., Quoidbach, J., Kotsou, I., & Nelis, D. (2020). Les compétences émotionnelles. Dunod.


Joran Farnier

Joran Farnier

Psychologue, enseignant, formateur

Passionné par la psychologie, j’ai fondé l’Institut de Psychologie Positive Appliquée pour faire le pont entre les recherches et la pratique de terrain.

Nous formons les professionnels de l'accompagnement pour leur permettre d'exercer avec plus de clarté, d'efficacité et de confort dans un métier complexe.



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17 commentaires sur “Intelligence émotionnelle : identifier ses émotions et celles d’autrui

  1. Quel partage simple et clair! Tout ce qu’il faut pour mieux accompagner les personnes a se « re-connecter » avec leurs émotions. Il y a une telle méconnaissance autour des émotions c’est dingue.

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