La flexibilité régulatoire : gérer son stress et ses émotions avec souplesse

La flexibilité régulatoire

Les individus ne choisissent pas nécessairement les évènements difficiles qu’ils vont vivre, mais ils ont une marge de liberté sur les réponses qu’ils peuvent donner à ces évènements.

En psychologie, c’est ce qu’on appelle les stratégies d’ajustement ou de coping (« faire face »).

illustration flexibilité psychologique

Les chercheurs ont d’abord tenté de repérer les stratégies de coping aidantes (celles qui aident à gérer l’adversité) et celles qui sont problématiques (qui maintiennent le problème).

  • Les stratégies aidantes les plus fréquentes sont : trouver des solutions aux problèmes, l’acceptation émotionnelle, réévaluer la situation pour porter un nouveau regard dessus, maintenir des activités agréables et sociales.
  • Les stratégies problématiques les plus fréquentes sont : ruminer, réagir avec agressivité, supprimer l’expression de l’émotion, éviter les problèmes et les émotions associées.

Cependant, les choses ne sont pas si simples que ça.

Nous avons souvent à tendance à chercher un absolu universel en repérant ce qui est BON et MAUVAIS.

En réalité, c’est avant tout une question de contexte.

Tout dépend du contexte

L’optimisme n’est pas toujours adaptatif

Les études indiquent que l’optimisme (le fait d’envisager un futur satisfaisant) facilite le passage à l’action, augmente la performance et le niveau de bien-être.

Cependant, si vous vous apprêtez à prendre la voiture après avoir trop bu ou à jouer à la roulette toutes vos économies au casino, dans ces deux contextes, il n’est pas souhaitable d’être trop optimiste (Gibson & Sanbonmatsu, 2004).
Pardonner : une question de contexte

C’est pareil pour le pardon.
La tendance à pardonner augmente généralement le niveau de bien-être des personnes. Mais dans un contexte de violence conjugale, il rend plus difficile d’en sortir.

En tant que clinicien, on pourra tout de même se demander s’il s’agit d’un véritable pardon en conscience des affects et de la situation, ou simplement d’une expression d’un pardon immédiat en surface qui vise à éviter de traiter ce que l’autre nous fait vivre et la perspective de la perte affective en se remettant immédiatement avec lui.

Il en va de même pour d’autres stratégies :

Dédramatiser, oui mais pas toujours.

Dédramatiser est utile pour questionner la gravité réelle de la situation, et remettre en perspective ce qui est important dans la vie de ce qui est secondaire.
C’est utile face à un jugement ou une critique qu’on aura oublié dans les prochains jours.
Cependant, si on dédramatise des choses importantes, cela empêche une réaction appropriée.
Si je dédramatise le tort que j’ai causé à un ami proche, cela m’empêche de considérer l’impact que j’ai eu sur lui et de réparer la relation.
Si je dédramatise l’impact de remarques blessantes répétées que mon/ma partenaire me fait, cela m’empêche de restituer à l’autre les conséquences de son comportement sur moi et de mettre ainsi une limite.
Se relaxer, oui mais pas quand il y a un incendie.

La relaxation aide à apporter une réponse d’apaisement et à diminuer le niveau de stress.
Cependant, s’il y a un incendie dans votre maison, la priorité est de courir. Se relaxer sera une bien meilleure idée lorsque que vous serez en sécurité.

Aucune stratégie n’est bonne ou mauvaise, chaque stratégie produit des effets.

Certains de ses effets sont désirables et d’autres indésirables pour une personne donnée.

Ce qui compte, c’est le coût d’une stratégie par rapport aux bénéfices qu’elle apporte, et surtout la question de la durabilité des bénéfices.

On quitte ainsi une réflexion manichéenne (bon vs mauvais) pour aller vers une pensée plus complexe et contextuelle.

Prendre en compte le coût des stratégies

Si vous souhaitez assurer entièrement votre voiture en cas d’accident, vous devez accepter de payer un contrat d’assurance bien plus cher.

La difficulté de nos patients est qu’ils choisissent des stratégies radicales.

Souvent, ils ne veulent radicalement plus prendre le risque de revivre une émotion intolérable vécue dans le passé.

Pour cela, ils doivent payer un prix radicalement cher.

Si avez cruellement souffert d’une trahison relationnelle par un ami d’enfance ou un parent, il y a des chances que vous ne souhaitiez plus jamais revivre ce sentiment.

La stratégie la plus efficace est de ne jamais s’engager affectivement dans de nouvelles relations.

Cependant, pour cela, vous devrez payer un coût énorme de solitude chaque mois.

C’est le seul contrat d’assurance qui garantisse un risque zéro de déception relationnelle, mais le prix est cher à payer.

La flexibilité régulatoire : définition

La flexibilité régulatoire, c’est la capacité de disposer de plusieurs stratégies de régulation dans son répertoire, afin de choisir celles qui sont les plus adaptées à un contexte donné.

Tout en se laissant la possibilité de changer de stratégie en fonction de ses effets et conséquences.

illustration : diversité du répertoire de compétences

On sort d’un modèle statique pour aller vers un processus dynamique basé sur l’expérimentation et le réajustement.

Les chercheurs Bonanno et Burton (2013) ont théorisé la flexibilité régulatoire comme un processus basé sur trois dimensions :

les 3 processus de la flexibilité régulatoire

Passe de la compréhension à l’intégration
avec les prochaines formations


Comprendre la flexibilité en bricolant

illustration bricolage et flexibilité psychologique

Si vous avez déjà fait un peu de bricolage, vous savez qu’il est préférable de :

  • Prendre en compte le contexte (si c’est une vis ou un clou à planter)
  • Avoir plusieurs outils dans sa panoplie (un marteau, des tournevis de différentes formes…) pour choisir celui qui convient le mieux.
  • Et enfin, même si on est sûr de son coup, il est toujours utile d’y aller tranquillement pour voir quel effet l’action produit (ex : comment le mur réagit au clou), pour éventuellement réajuster notre technique ou prendre un nouvel outil plus adapté.

PS : j’utilise plus de métaphore sur le bricolage que je ne bricole réellement.

Adéquation entre la stratégie et le contexte

La réalité est faite d’espaces en béton (les zones sur lesquelles nous n’avons aucun pouvoir) et d’espaces en argile (les zones que nous pouvons tenter de façonner à condition d’avoir la technique)..
illustration des stratégies de coping

Globalement, nous avons 2 grandes stratégies de gestion des difficultés. Et pas beaucoup plus.

  • Agir sur la réalité externe. Cela permet de faire que la réalité se rapproche davantage de nos attentes.
  • Agir sur notre réalité interne : pour réajuster nos attentes à ce que la réalité peut proposer.
Pour Viktor Frankl, lorsque la réalité ne peut changer, elle nous contraint de nous transformer nous-même.
illustration transformation de soi

Un facteur essentiel de sensibilité contextuelle à prendre en compte est le degré de contrôle que nous avons sur une situation. (Folkman, 1984)
  • Si nous pouvons agir sur une situation problématique, autant activer toutes nos marges de manœuvre.
  • A l’inverse, si une situation ne dépend pas de nous, tenter d’agir dessus n’est que peine perdue. Nous ne pouvons modifier le passé. Par contre, nous pouvons nous ouvrir à ce que la réalité propose, revoir nos exigences, accueillir nos émotions et comprendre l’enjeu affectif que nous mettions sur la situation…

Disposer de plusieurs cordes à son arc

La réalité est complexe, il ne s’agit pas d’avoir qu’un type de stratégie, mais un mélange complexe.

Notamment, lorsqu’on se retrouve dans un contexte où une situation met du temps à changer, par exemple un projet professionnel stressant qui s’étale sur une année.

Agir activement sur la réalité peut être la priorité, tout en étant accompagné par des stratégies centrées sur l’émotion pour tenir le marathon dans la durée (maintenir des activités agréables, faire de la relaxation, continuer de voir des amis, accepter que tout n’avance pas aussi vite que l’on souhaiterait…).


Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé
Et le courage de changer ce qui peut l’être,
Mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre.

Marc Aurèle, empereur romain.

(Le gars avait tout compris il y a presque 2000 ans, chapeau !)

Aller chercher le feedback

Rien n’est adaptatif en soi, tout dépend du contexte.
illustration chercher le feedback

On ne peut donc pas faire parfaitement du premier coup.

Expérimenter et réajuster deviennent nécessaires, et cela impose de suivre les conséquences de nos actions.

Que le feedback soit positif ou négatif, il est toujours constructif, il donne une information qui permet de réajuster : continuer ou changer de stratégie.

Nous avons cependant une claire préférence pour du feedback positif.

Les personnes n’ont pas toujours la capacité de s’ouvrir à du feedback négatif (trop menaçant pour l’estime de soi, avec un vécu d’incapacité, d’échec et de nullité).

Dans ce cas, elles évitent le feedback pour protéger leur estime et prennent ainsi le risque de maintenir des stratégies inadaptées au contexte.

La capacité de réajuster dépend donc de la possibilité de recevoir du feedback constructif sans se sentir trop menacé en termes d’estime ou de capacité.

Prendre le feedback comme un indicateur de réajustement (on parle d’état d’esprit de croissance, ou growth mindset) plus que comme un indicateur figé de notre capacité définitive (on parle d’état d’esprit figé ou fixed mindset) est une des clefs pour oser s’exposer davantage au feedback.

Les 2 leviers de mise en application

La flexibilité régulatoire n’est pas juste un concept théorique.

Elle génère des applications très concrètes lorsqu’on accompagne un individu ou une équipe.

Avoir un concept théorique intéressant active toujours deux leviers sur le terrain : comprendre (leviers de compréhension du fonctionnement) et intervenir (leviers d’action).

Evaluer la flexibilité régulatoire

illustration évaluation

On peut commencer par évaluer la flexibilité régulatoire d’une personne ou d’une équipe.

Pour cela, il suffit de partir de la liste des problèmes, des contraintes ou des opportunités (passés, présents et futurs) qu’elle doit affronter. Puis de repérer quelles sont ses réactions dominantes. (« Quelles réponses avez-vous données à ces problèmes ? »)

On peut évaluer ainsi le nombre de stratégies différentes utilisées. Mais surtout la fonction de ces stratégies.

Est-ce surtout des actions sur la réalité externe ? La personne ou l’équipe a-t-elle la possibilité de questionner son fonctionnement ou sa perception (modifier la réalité interne) ?

Une autre étape est d’explorer avec la personne quelles ont été les conséquences de ces stratégies (à la fois à court terme et à long terme) en partant de son expérience. Et si ces conséquences ont été satisfaisantes ou non.

Il est essentiel d’évaluer les effets à court terme et à long terme.

Par exemple, l’alcool est certainement une des stratégies les plus efficaces à court terme pour supprimer l’angoisse ou la tristesse. Mais le lendemain, ces affects inconfortables reviennent, parfois amplifiés par le fait que le problème n’a pas été traité, voire a évolué défavorablement.

Enfin, on peut évaluer si la personne fait ce qu’elle a toujours fait même si cela ne marche pas (rigidité) ou bien si elle est capable de générer des nouvelles réponses lorsque le contexte change ? (flexibilité contextuelle).

Augmenter la flexibilité régulatoire

La rigidité, c’est l’incapacité à changer de stratégie quand le contexte change.
Exemple clinique

Une patiente avait deux sujets obligatoires pour son examen d’anglais lors du Baccalauréat. Et elle avait un idéal de perfection si élevé qu’elle a fait un seul sujet parfaitement en passant tout son temps dessus, quitte à ne plus avoir le temps de faire l’autre sujet.

Elle a donc eu 10/20 avec un seul sujet parfaitement réalisé.

On voit ici l’insensibilité au contexte. La règle « je dois faire parfaitement » et la nécessité d’être irréprochable sont tellement fortes que la personne n’a pas la souplesse de rendre prioritaire un autre objectif qui est d’avoir la meilleure note à l’examen.

Les leviers pour développer une meilleure flexibilité psychologique sont les suivants :

  • Cultiver de nouvelles stratégies de régulation (si la personne intellectualise beaucoup, peut-être s’ouvrir à des stratégies d’ouverture émotionnelle…)
  • Augmenter la conscience du contexte (« Quand vous êtes avec votre partenaire, plutôt qu’avec une autre personne, qu’est-ce qui fonctionne le mieux dans la manière de communiquer avec lui ? »)
  • Augmenter la conscience des effets produits ? (« Quand vous communiquez de cette manière, quel effet cela produit sur l’autre et sur vous ? Est-ce que cela vous rapproche ou vous éloigne de ce que vous désirez ? »)

Une étude sur la flexibilité régulatoire

illustration flexibilité régulatoire chez les pompiers

Est-ce que la flexibilité régulatoire permet de protéger les personnes lorsqu’elles sont exposées à des expériences potentiellement traumatiques de manière répétée ?

Pour répondre à cette question, des chercheurs (Levy-Gigi et al., 2015) ont suivi 69 pompiers afin d’évaluer leur degré de symptômes de stress post-traumatique en fonction de deux choses :

  1. Leur flexibilité régulatoire
  2. La fréquence d’exposition à des évènements potentiellement traumatiques

Les résultats indiquent que seuls les pompiers ayant une faible flexibilité régulatoire ont plus de symptômes de stress post-traumatiques face à des évènements aversifs répétés.

La flexibilité régulatoire est donc un facteur qui semble avoir un effet protecteur pour l’individu lorsqu’il est confronté à un contexte aversif répété.

Cette étude est cependant corrélationnelle et non interventionnelle.

Flexibilité régulatoire et flexibilité psychologique

Si vous vous posiez la question, la flexibilité régulatoire, c’est encore différent de la flexibilité psychologique (qui vient de la thérapie d’Acceptation et d’engagement, ACT).

Un prochain article sera justement sur la flexibilité psychologique !

Si tu souhaites recevoir des articles
comme celui-ci chaque semaine...
Inscris toi à la newsletter




Joran Farnier

Joran Farnier

Psychologue, enseignant, formateur

Passionné par la psychologie, j’ai fondé l’Institut de Psychologie Positive Appliquée pour faire le pont entre les recherches et la pratique de terrain.

Nous formons les professionnels de l'accompagnement pour leur permettre d'exercer avec plus de clarté, d'efficacité et de confort dans un métier complexe.



Partager cette ressource à un collègue

Ce qu'il y a de fabuleux avec la connaissance, l'amour et le bonheur, c'est qu'ils sont décuplés lorsqu'on les partage.

7 commentaires sur “La flexibilité régulatoire : gérer son stress et ses émotions avec souplesse

  1. Bonjour et merci pour ces excellents partages. Serait il possible que vous donniez les références des principaux articles cités. J’aime bien allez les consulter

  2. Bonjour je trouve vos articles et développement d’idées très très intéressant merci beaucoup Par contre dans tout le développement à chaque fois que mes yeux tombent sur le mot stratégie je fais un blocage il ne me semble pas convenir pas adapté ,ce mot me renvoie trop a des techniques de commerce de marketing bref pas vraiment de psychologie.
    Un autre point me semble important qui n’est pas abordé est l’aspect conscient inconscient…
    On peut changer de recette pour faire un gâteau le rendre meilleur en ajoutant ceci ou bien cela mets les méandres de l’esprit humain son un peu plus compliqué qu’une simple recette de cuisine.
    Mais je le répète encore merci beaucoup pour vos apports sur tous les sujets que vous sont très intéressa… ezeckiel nt et très bien traité
    au plaisir

  3. Bonjour,

    Merci pour cet article, j’ai jamais lu sur la flexibilité regulatoire. Vos idées sont vraiment enrichissantes.

    Une personne qui a des troubles cliniques je cite directement : dépression sévère. Aura t-elle la possibilité de mettre en pratique la flexibilité regulatoire ?.

    Bonne continuation.

    1. Merci pour votre retour.
      C’est une excellente question.
      Dans une dépression, on observe une restriction du répertoire de pensées et de comportements, ce qui amène à une inflexibilité, avec souvent un arrêt de l’exploration et de l’engagement.
      Donc c’est en effet une cible thérapeutique principale, mais elle ne se travaille pas directement mais avec subtilités.
      Elle se travaille en agissant d’abord sur les conditions qui permettent à cette flexibilité de se déployer ou d’émerger et qui est dans la fenêtre de compétences de la personne, c’est à dire ce qui est travaillable par elle dans ce moment là.

      Joran

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *