Cet article est le dernier de la série sur l’intelligence émotionnelle, bravo si vous êtes arrivé jusqu’ici 🙂
Les points de subtilité
Le terme de gestion ou de régulation fait très sérieux et rationnel. Cela active une vision très mentalisée et froide de notre expérience émotionnelle. Je vais préférer un terme moins distancié et défensif : apprendre à vivre nos émotions. Cela met l’accent sur l’ouverture à l’expérience émotionnelle tout en gardant un choix conscient sur la manière dont nous souhaitons y réagir.
Je vais tout de même utiliser dans cet article les termes de gestion et de régulation, car ce sont les termes les plus utilisés en psychologie.
Les recherches en psychologie indiquent que l’acceptation émotionnelle est une stratégie de régulation parmi les plus efficaces. C’est la stratégie la moins défensive, car on s’ouvre et on est OK à l’idée de la ressentir.
Chercher à « réguler son émotion » avant de la traiter, c’est le signe que je ne veux surtout pas la ressentir, c’est une stratégie d’évitement déguisée. Il est souvent préférable de l’identifier et de la comprendre avant de pouvoir la réguler, sans quoi nous passons à côté du message qu’elle nous envoie. Plus l’émotion fait mal, plus le message est important, mais plus nous cherchons à l’ignorer également.
Gérer ses émotions
Deux choses essentielles pour apprendre aux personnes à gérer leurs émotions :
- Enrichir son répertoire de stratégies de gestion des émotions : si une personne ne sait faire que de l’évitement (tenir à distance ses émotions), c’est important de lui apprendre d’autres leviers comme l’acceptation, la relaxation, la résolution de problèmes…
- Choisir la stratégie la plus adaptée dans un contexte donné : dans un contexte où nous pouvons influencer la situation, il est préférable d’agir alors que dans un contexte sur lequel nous n’avons pas de pouvoir, il est nécessaire de repérer les marges de manœuvre intérieure (accepter, mettre à jour ses croyances, donner un sens différent à la situation…).
Le procesuss émotionnel

Selon le modèle de Gross & Thompson, 4 facteurs sont impliqués dans le processus émotionnel :
- La situation dans laquelle nous sommes (ex : patienter avant un examen oral)
- Ce sur quoi nous focalisons notre attention (ex : se focaliser sur les risques comme oublier son texte ou être interrogé sur des sujets moins bien maîtrisés plutôt que de se focaliser sur ce qui pourrait bien se passer)
- L’évaluation subjective que nous faisons de la situation (ex avec une évaluation de type catastrophisme : « si je ne sais pas quoi répondre, cela sera catastrophique et je vais rater mon examen. Si je le rate, ma scolarité est fichue »)
- La réaction émotionnelle, physiologique et comportementale (ex : mains moites, tachycardie, boule au ventre et comportement de relire les cours)
Nous avons donc des leviers d’action sur chacun de ces facteurs, cela offre 5 opportunités de pouvoir sur l’expérience émotionnelle :

Les stratégies de régulation émotionnelle peuvent apparaître à 2 moments :
- Avant l’apparition de l’émotion : que faire en anticipation ?
- Une fois que l’émotion est apparue : que faire à chaud ou après coup ?
Choisir la situation
Choisir les situations adéquates : toutes les situations ne sont pas à même de provoquer les mêmes émotions. Certaines sont favorables et d’autres moins à notre bien-être émotionnel durable.
La psychologie sociale nous a montré à quel point notre comportement peut être influencé par le poids de la situation (par exemple, l’expérience de Milgram sur l’impact de l’autorité). Cependant, l’individu peut aussi choisir les situations qui vont l’influencer.
Il y a 2 risques :
- S’engager dans des situations problématiques
- Eviter les situations importantes
Cette stratégie devient dysfonctionnelle lorsque la personne évite des situations importantes, cela crée un léger soulagement à court-terme, mais une augmentation des problèmes dans la durée.
Deux conditions sont requises pour appliquer cette stratégie au mieux :
- Reconnaître notre pouvoir de choisir les situations dans lesquelles nous nous engageons, plutôt que de subir ou de trouver des prétextes externes.
- Anticiper correctement les effets d’une situation et particulièrement ceux à long-termes, sans quoi nous nous engageons sans lucidité.
Passez de la compréhension à l’intégration de ces outils avec la prochaine formation
Modifier la situation
Un autre pouvoir d’action est de tenter d’influencer la situation.
Il s’agit de comprendre ce qui pose problème, de repérer des solutions et d’agir sur les marges de manœuvre dont nous disposons.
Il est souvent préférable de mettre son énergie sur la résolution du problème (réflexions constructives et concrètes pour agir) plutôt que sur les ruminations (réflexions dévalorisantes sans action). Le style de réflexion est ainsi en lien avec la capacité à agir sur la situation.
Trois risques existent :
- Vouloir changer une situation sur laquelle nous n’avons pas de pouvoir (persévérance désespérée). Ici, l’alternative constructive est l’acceptation pour réallouer notre énergie sur d’autres situations sur lesquelles nous pouvons agir.
- Ne rien faire dans une situation sur laquelle nous avons des leviers d’action.
- Continuer d’utiliser des stratégies qui n’ont pas marché jusque-là. La solution est donc d’envisager des stratégies alternatives plus efficaces.
Comme le dit Marc Aurèle, la sagesse réside dans la capacité de distinguer lorsqu’il est utile d’accepter ce que nous ne pouvons pas contrôler et lorsque nous devons persévérer.
Les personnes ayant un sentiment d’impuissance acquise (avec un style de pensée de type : « peu importe ce que je fais, cela ne changera rien ») seront plus à même de ne pas utiliser ce levier d’influence. Elles auront plus des comportements passifs, d’évitement.
Focaliser notre attention
Par exemple, se focaliser toujours sur les aspects menaçants et dangereux du futur (« Si je change de ville, je ne retrouverais jamais d’amis ») génère plus facilement de l’anxiété et des réponses d’évitement pour maintenir une zone de sécurité confortable.
Un de nos premiers leviers de gestion émotionnelle est de pouvoir changer le focus attentionnel. Apprendre à orienter nos pensées vers tous les aspects de la réalité et pas uniquement les négatifs.

Cette réorientation de l’attention ne se veut pas défensive, comme ne plus penser à ce qui va mal en se focalisant que sur ce qui va bien. C’est plutôt une ouverture à l’ensemble des aspects de la réalité, être capable de regarder ce qui va mal sans discriminer pour autant les aspects satisfaisants de la réalité.
Les inquiétudes et les ruminations sont de manière de figer notre attention sur des aspects problématiques de la réalité.
- Ruminer consiste à tourner en boucle sur un évènement passé négatif.
- S’inquiéter, c’est tourner en boucle un évènement passé anxiogène.

Accueillir la peine d’un évènement passé et tirer des enseignements se révèle utile. Tout comme anticiper les risques et dangers dans le futur, mais rester focaliser dessus de manière passive au point où toute action utile est paralysée devient un vrai problème.
C’est ce qui fait la différence entre des ruminations et des réflexions constructives.
Apprendre à orienter notre attention vers le moment présent, et ne pas se laisser toujours embarquer dans un futur fade ou un passé fait de regret est une capacité utile.
La distraction de l’attention peut parfois être utile quand l’évènement est mineur, insoluble ou nécessite un calme pour réagir. A l’inverse, se distraire des problèmes importants à résoudre est une stratégie d’évitement qui soulage sur le moment mais amplifie les problèmes dans le temps.
Pour résumer de manière pragmatique, ce qui compte, c’est de focaliser notre attention sur ce qui nous aide à avancer en fonction de nos valeurs et sans défense inutile face aux réalités douloureuses.
Réévaluer la situation
Comme notre réaction émotionnelle ne dépend pas uniquement de la situation, mais de notre manière de la percevoir, nous avons un levier intérieur particulièrement intéressant : la possibilité de porter un regard différent sur la situation.
Si nous ne pouvons pas changer le contexte (levier comportemental), nous pouvons au moins faire bouger notre rapport au contexte (levier mental).
Réévaluer la situation consiste à changer le regard sur la situation, par exemple en modifiant notre fonctionnement mental (nos croyances, règles mentales et schémas de pensées).

Voici plusieurs stratégies mentales :
- L’évaluation comme menace ou comme défi : si l’on perçoit la situation comme une menace, on est d’avantage centré sur les risques. Alors que si on perçoit la situation comme un défi, alors on est plus centré sur les bénéfices.
- Relativiser : réévaluer l’importance accordée à une situation. « Est-ce vraiment si important ? » « Par rapport aux choses graves dans la vie, est ce que cet évènement est de cet ordre-là ? » « Dans plusieurs semaines, mois ou années, est ce que cet évènement restera comme quelque chose de grave ou l’aurais-je oublié ? »
- La défusion ou distanciation : cela consiste à prendre du recul sur nos pensées sans les croire sur parole, à les observer comme des pensées tout en sachant qu’elles ne sont pas la réalité. Cela permet de trier les pensées aidantes et utiles d’un côté et de ne pas accorder plus d’énergie aux pensées limitantes, mais tout en acceptant qu’elle puisse traverser notre esprit, donc sans défense inutile !
- Chercher les points positifs : « Quels sont les bénéfices à cette situation ? Quelles opportunités crée-t-elle ?
- Chercher des enseignements : « Qu’est-ce que je peux apprendre de la situation ? Qu’est-ce que je peux faire différent pour obtenir d’autres résultats ? »
- L’acceptation : s’ouvrir aux émotions et aux évènements, sans forcément adhérer à ce qui s’est passé, pour lâcher la lutte est être OK avec la réalité afin de réorienter notre énergie à des endroits plus utiles.
- Observer nos raccourcis de pensées et les assouplir : la tendance à penser en TOUT ou RIEN (« Si ce n’est pas parfait, cela ne vaut rien ») à surgénéraliser (« Rien ne va dans ma vie en ce moment » ou avec les mots toujours et jamais), à personnaliser (« il le fait exprès pour m’embêter ») …
- Changer la manière de catégoriser la situation : nous pouvons catégoriser une situation d’emblée comme négative. Par exemple, une situation où nous n’avons pas atteint un objectif peut être vite catégorisée comme un échec, comme quelque chose de mauvais. Le fait d’observer cela en flagrant délit permet de mieux nous connaître : et de repérer que nous avons probablement la règle mentale suivante « je dois toujours réussir ce que j’entreprends sinon je suis nul ». Cette règle implicite n’étant pas adaptée à la réalité, la seule manière de la respecter est de ne plus rien tenter de nouveau. Plutôt que de changer la réalité (devenir parfait), ce qui est impossible, il semble préférable de changer la règle et d’envisager d’autres règles alternatives comme « J’ai le droit de ne pas tout réussir, et c’est ok si j’en suis triste, mais cela ne signifie pas que je suis nul pour autant »
- Chercher du sens et une cohérence à la situation : les croyances du patient peuvent être en conflit avec ce que la réalité peut proposer, sa grille de lecture ne lui permet plus d’expliquer les événements qu’il a dû traverser. Mettre à jour son modèle du monde lui permet de faire de la place et d’expliquer des événements qui ne pouvaient pas avoir lieu dans sa conception à lui
Influencer sa réaction
Le dernier levier à notre disposition est d’influencer notre réaction émotionnelle.
Notre réaction peut se faire à plusieurs niveaux : au niveau physiologique (cœur qui s’accélère et la poitrine pleine d’énergie dans le cas de la colère), expressif (visage serré et élever la voix) et comportemental (insulter la personne).
Les réactions peuvent avoir plusieurs fonctions : changer la situation ou changer la manière de nous sentir.
- Techniques relaxantes : L’émotion n’est pas que mentale et subjective, c’est aussi un phénomène physiologique (cortisol, adrénaline etc…) qui impacte le corps. Nous avons la possibilité d’agir sur cette réponse physique émotionnelle par des méthodes de relaxation physique ou mentale. Cela peut être par une relaxation dirigée (respiration, décontraction musculaire) ou par une activité induisant ce type d’effet (prendre un bain, écouter une musique agréable etc…). Apprendre à se relaxer soi-même est une compétence très utile.
- Expression des émotions : partager l’émotion. Cela vient satisfaire des besoins essentiels comme se sentir soutenu, considéré afin de maintenir une estime et un sentiment de lien social. L’autre peut aussi aider à réaliser des stratégies de régulation comme changer la situation, voir la situation différemment ou s’en distraire. Cela nécessite évidemment de choisir le bon interlocuteur et d’accepter que tous nos proches ne peuvent pas forcément avoir la réaction que nous attendons d’eux.
- Choix du comportement : même si l’émotion nous pousse dans une direction donnée (la tendance à l’action), il est important de se rappeler que ce n’est pas toujours le comportement le plus efficace (ex : l’évitement dans le cas de la peur ou l’agressivité dans le cas de la colère). Il est important de considérer l’émotion comme un conseiller bien intentionné plutôt que comme un supérieur qui nous contrôle. Un certain nombre de compétences permettent de remettre l’émotion à cette place de conseiller utile (la pleine conscience, la défusion, la conscience de ses valeurs) afin de l’écouter, mais sans lui laisser systématiquement le pouvoir de choisir notre comportement. Cela permet de s’ouvrir à des questions aidantes du type « Quelle réaction est la plus adaptée dans cette situation ? »
Certaines stratégies ont tendance à être globalement dysfonctionnelles, même si cela est à apprécier en fonction du contexte :
- La suppression expressive : masquer l’émotion, mais l’intensité reste la même, voire augmente.
- L’utilisation d’alcool ou de drogues pour éviter les émotions
- Le retrait social : utile pour éviter de gérer les conflits sous le coup de la colère et attendre qu’elle retombe. Mais dans le cas d’autres émotions (honte, tristesse, culpabilité), peut amener à s’isoler et éviter de maintenir un lien social utile ou d’avoir des comportements plus adéquats (réparer notre erreur, exprimer notre gêne et l’importance de la relation à nos yeux…)
- L’expression inadéquate comme l’agression verbale ou physique
Autres facteurs à prendre en compte

Les facteurs environnementaux qui impactent la régulation émotionnelle :
- Le type d’attachement au parent : si l’attachement est sécure cela a permis à l’enfant de bénéficier d’une sécurité affective et émotionnelle et d’un soutien externe qui a pu accorder une considération et une aide à la compréhension et gestion des émotions.
- La capacité des parents à réguler leurs émotions. L’enfant apprend beaucoup par observation, il récupère souvent les stratégies de gestion émotionnelle qui viennent des parents.
- Les évènements traumatiques : ils ont pu contribuer à générer une forte réactivité émotionnelle ainsi que des stratégies de gestion émotionnelle très défensives et par conséquent très coûteuses.
La réactivité émotionnelle, c’est la tendance à avoir un faible seuil de déclenchement des émotions. Ce qui peut générer des émotions à la fois fréquentes et intenses. Les individus ayant une forte réactivité émotionnelle et une faible capacité de régulation sont les plus à risques. Il est donc important de pouvoir les équiper pour mieux vivre ces expériences débordantes.

Prochain article dans la newsletter : approfondir les outils de psychologie positive pour intervenir sur l’optimisme.

Psychologue, Enseignant à l’Université et Formateur.
Passionné par la psychologie, j’ai fondé l’Institut de Psychologie Positive Appliquée.
Je souhaite transmettre les compétences psychologiques fondamentales dans les domaines de la santé, de l’entreprise et de l’éducation.
J’écris régulièrement sur Linkedin, découvrez les articles non publiés ailleurs.
Bonjour Joran,
J’ai toujours la même impatience pour la parution de vos articles.
Celui-ci me touche particulièrement et m’aide beaucoup personnellement et professionnellement. Le travail sous pression en entreprise génère des émotions de soi et des autres qu’il est essentielle de gérer au mieux. Gérant l’activite « Engage Team », connaitre et repérer les difficultés émotionnelles de mes collègues me permet de mieux les appréhender et tenter au détour d’une conversation d’ouvrir la voie à d’autres perspectives de la situation en cause.
Merci, infiniment.
Agnès
J’ai trouvé votre blog quand j’étais en train de chercher réponses pour mon TFE j’ai vraiment A D O R E!!
Merci pour partager vos connaissances !
UN grand merci pour votre article de qualité !
C’est un sujet qui m’a beaucoup intéressée pour mon blog sur les surdoués. Le point c’est que le QI sans QE se retourne souvent contre le surdoué et alimente son sentiment de décalage…
En tous cas merci encore une fois, je vais en profiter pour enrichir un peu mon article sur le sujet de l’intelligence émotionnelle : https://enfant-surdoue.fr/les_tests_de_qi/intelligence-emotionnelle/
Andrée
Merci pour cet article
C’est intéressant de partager comme ces informations pour aider les gens a surmonter ces difficultés
Reconnaissant
Moez
Merci infiniment pour cet article, je l’ai trouvé en cherchant des informations sur la gestion des émotions pour une conférence que je vais réaliser. Article très intéressant avec beaucoup des informations bien fait avec des exemples et des pratiques bien étudiés.
Gratitude joran à vous et à votre équipe.
ce n’est pas un commentaire, c’est une question. La gestion des émotions, est-ce de l’intelligence émotionnelle ou du travail émotionnel?
Le travail émotionnel et l’intelligence émotionnelle sont-elles 2 approches distinctes, voir opposées de la gestion ou de la régulation des émotions?
Merci